Icare Encore, catalogue

 

Je ne savais pas à 28 ans, lorsqu’enthousiaste je croyais avoir trouvé l’objet infini du désir : la lumière, lorsque, plus tard, je m’enorgueillissais de ne pas ressembler à mes coreligionnaires monomaniaques qui la trahissaient en la réduisant à une de ses facettes, stratégie devant leur assurer une visibilité singulière et remarquable dans l’océan d’ « artisation » qui commençait, lorsque je résistais sans le savoir à ne pas devenir, comme eux, en réalité de dociles ouvriers spécialisés,

je ne savais pas que cet élan jeune, innocent, curieux de tout, qui cherchait auprès des alchimistes et des astrophysiciens des éléments de composition d’un grand œuvre qui devait se construire en « essais » imparfaits parce qu’ in-finis, modelant par touches successives le contour de cet obscur et immense objet,

je ne savais pas qu’il atterrirait en âpre lucidité.

J’aurais pourtant dû savoir qu’Icare chute de s’être trop approché du soleil ; je l’avais mis en œuvre en 1986… Mais la force de l’aveuglement et la faiblesse de l’extase !…

Je ne sais trop à quel moment la lumière a muté en lucidité, l’enthousiasme en vanité, l’immatérialité en carnage… A perte de vue, il n’y a bientôt plus eu qu’un champ d’illusions crevées, en décomposition…

Je ne dresserai pas le catalogue des perversions post-modernes qui dénient le sens de ce qui avait dirigé ma vie et ma recherche, je ne m’attarderai pas sur les années de colère contre les mensonges érigés en vérités incontestables par un système global avide et décervelant qui dévore les Hommes et les artistes comme Chronos dévorait ses enfants.

Ce qui est sûr, c’est que je n’ai plus pu, ni voulu me soumettre à ce clivage affolant, à ces séances écœurantes et épuisantes d’écartèlement, que j’ai décidé de comprendre ce qui se passait, de prendre le temps nécessaire pour comprendre à quoi je participais et, si, comme l’écrit saint Augustin, la colère est fille ou mère de l’espérance, d’attendre – si cela est encore possible – que sourde le moment dostoïevskien de la pitié pour soi et pour le monde, qui fait, les yeux grand ouverts, reprendre le chemin, ressaisir l’instrument imparfait et célébrer les fragiles étincelles qui crépitent encore dans la grande nuit de notre parfaite Modernité.

La double invitation du Musée Mandet – la réalisation de « Pas-sage » à l’entrée de la cour d’honneur et l’exposition personnelle en octobre 2011- me tire de mon ombrageuse retraite.

Que reste-t-il de mon désir de faire Lumière, de dire tout – avers et revers – à l’imitation de la lumière qui est elle-même résolution extatique de la matière et de l’anti-matière ? C’était un immense désir qui n’avait rien de totalitaire, c’est-à-dire d’exclusif ni d’idéologique, qui n’avait rien non plus du chaos stylistique des Foires d’Art Contemporain qui recyclent, à vide, toutes les formes des attitudes démodées… Puissant désir !… Désir de toute puissance ou désir réglé « par l’ amour qui meut le soleil et les autres étoiles. »¹ ?

Je ne sais pas… Je crois que je n’ai plus peur de ne pas savoir …

J’ai eu plaisir à me remettre simplement au travail. Que la ville de Riom et la conservatrice de ses musées qui m’ont accordé leur confiance en soient chaleureusement remerciées.

 

Hélène Mugot, Août 2011

¹ : cf La Divine Comédie de Dante (Paradis – Chant 33)