Le Musée Colette : une traduction « à livre ouvert »
Au musée Colette, le parti pris est tout autre. On est bien à Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans le village de l’enfance bourguignonne de Colette, mais au château, où jamais elle ne vécut. On peut bien y voir la chambre de ses vieux jours, mais posée, comme un décor, sur une scène de bois. On y retrouve bien, enfin, son fameux pot à stylos, mais « délivré de son poids mort de relique », théâtralement posé entre une lettre de Sido, celle qui « parlait sans chercher jamais ses mots », et un livre vierge, « l’oeuvre imaginaire » du capitaine qui « aurait tant voulu être sur terre » ce que sa fille fut. Ainsi, la muséographie transcende-t-elle ces pauvres objets-reliques, lesquels se mettent alors à dire la genèse de l’écrivain au visiteur intrigué qui se souvient peut-être, mais pas nécessairement, des pages de Sido. Mis ou non en regard avec les textes, les objets s’effacent devant les mots dont ils ne sont que le pré-texte.
Cette singularité du musée Colette s’affirme avec encore plus d’évidence dans le reste du musée, qui se veut avant tout un « musée de l’oeuvre ». Se mettre au service de l’oeuvre de Colette, en faire une lecture humble et pénétrante pour inventer une traduction visuelle, sonore, gustative et olfactive fidèle, capable de restituer pour tous les visiteurs, initiés ou profanes, et dans le temps limité d’une visite, un faisceau de sensations et de connaissances de l’oeuvre acquises par la lente maturation d’une lecture solitaire, tel est le défi si sensiblement et intelligemment relevé par Hélène Mugot.
La visite s’offre donc comme un floriglère de traductions de l’oeuvre, chacune faisant appel à un sens différent, comme le fait aussi l’écriture charnelle de Colette, et ramenant toujours aux mots et à un aspect important de l’oeuvre. Au deuxième niveau par exemple, sous le regard de l’artiste voyant(e), défilent, lentement et en boucle, des plans fixes de Puisaye -campagne, forêts, étangs-, véritables tableaux des quatre saisons, qui donnent à voir le paradis perdu de son enfance, tant célébré par l’écrivain, tandis qu’une bande sonore donne à entendre la voix de l’oeuvre. De même, les saveurs locales servies au salon de thé comme les bouquets odorants et le jardin fleuri et muséographié -lesquels, malheureusement, restent pour l’heure une partie non réalisée du projet muséographique- sont autant de réincarnations des mots de Colette dans la chair de la nature, à l’image de l’écriture du poète qui parvient si remarquablement à re-rendre perceptible la réalité dans toute sa sensualité. Ainsi donc, au fur et à mesure que le visiteur gravit les marches de l’oeuvre -car sur chaque contremarche de l’escalier est gravé le titre d’un ouvrage de l’écrivain-, il fait une expérience sensuelle et émotionnelle comparable à celle que le lecteur peut faire en lisant la langue de Colette. S’opère alors une « mise en bouche » apéritive qui le conduit, au terme de sa visite, à la bibliothèque où 1500 faux livres enchâssent, tels des écrins, 1500 fragments précieux de l’oeuvre. Initié et amené « au lieu vrai de l’écrivain : le livre », le visiteur goûte alors au hasard quelques-uns de ces morceaux choisis, avant de redescendre à la librairie-salon de thé, ancienne cuisine du château, pour y conjuguer tous les plaisirs de bouche puis repartir avec un vrai livre de Colette.
Au-delà d’une quelconque vocation pédagogique, ce musée est une véritable oeuvre d’art : avec une humilité éclairée et lumineuse, il sert et sertit l’autre oeuvre, celle de Colette, dont il transpose le langage fait de mots en un autre langage artistique capable d’incarner idées et sensations et de les donner à éprouver par tout le corps. Seul un autre art pouvait permettre cette traduction, seul un artiste pouvait la réaliser.
Sylvie Liotier