PAS-SAGE 2011

à Marie-Josée Linou,

conservateur en chef,

à qui le Musée Mandet va si bien…

Répondant à l’invitation de la communauté de communes de Riom qui souhaitait marquer la création d’un nouveau département de Design contemporain au Musée Mandet par l’intégration d’un « aménagement artistique » pour son entrée, j’ai tenté de répondre à l’attente d’intégration de la « chose artistique » dans un bâtiment classé, par un geste discret et complice qui donne au public un avant-goût de la collection d’arts décoratifs et peut-être encore plus particulièrement de sa collection exceptionnelle d’orfèvrerie contemporaine. Il se trouve que cette collection m’avait laissé, lors d’une ancienne visite, un fort souvenir qui a même induit certaines de mes œuvres. Il m’a donc semblé naturel, sans risque d’insipidité, de concevoir, sur ce « mode mineur », une œuvre d’art qui la précède et la prédise…

La demande de Riom communauté précisait encore que l’œuvre postée à l’entrée de l’hôtel Dufraisse du Cheix devait privilégier la lumière, l’eau et inciter le public à pénétrer dans la cour.

LA LUMIERE

Considérant que les lieux extérieurs excluaient la lumière artificielle, trop faible pour concurrencer celle du ciel et pour affronter le noir absorbant de la pierre de Volvic dont sont constitués les façades et les sols, il ne restait donc qu’à faire avec la lumière du soleil et, par tous les temps, qu’elle soit directe ou diffuse, à la mettre en scène et à la réfléchir ! Comment ? Par des objets réfléchissants qui prédiraient en quelque sorte l’argenterie étincelante des aiguières, des coupes et des vases exposés dans le nouveau musée. Ne devant pas encombrer les espaces de passage, j’optai pour une ponctuation de petits miroirs de métal poli qui, scellés dans les murs et le plafond du vestibule, piègeraient les éclats de cette lumière solaire. Hémisphériques, ils réfléchiraient et démultiplieraient l’image de ceux qui, croyant venir y voir, y seraient vus. Voilà l’entrée gardée et regardée ! Amusée par le tour que prenait l’œuvre, je lui jouai encore le mauvais tour d’alterner hémisphères convexes ( dits : miroirs-sorcière) où l’image de tout l’espace se réfléchit à l’endroit et hémisphères concaves où cette image est cul par-dessus tête !

cupule concave cupule convexe

Le vestibule dallé, comme tout le bâtiment, de pierre noire et éclairé par les 2 bouts, était idéal pour que toutes ces bosses et ces creux étincellent également tout au long du passage des visiteurs. L’ombre étant propice à l’éclat mystérieux du métal, pour parfaire cet effet, je choisissais pour les parois du vestibule, un bel enduit fin et mat à la chaux, couleur taupe… Et pour que ces grelots de lumière sonnent encore plus juste, je les disposai selon une trame invisible homothétique à celle du calepinage de la cour.

Titre N°1 de l’oeuvre : « Passage de la stricte observance »L’INCITATION À DÉCOUVRIR… ET À PÉNÉTRER DANS LA COUR

 L’œuvre déjà, par les œillades lumineuses qu’elle lancerait, attirerait le passant dans l’ombre du porche. Il découvrirait, une fois dans l’entrée, que ces clins d’yeux étaient en réalité des « objets-dards »¹. Chaque oeil exorbité se trouverait en exact vis-à-vis avec un œil enfoncé craintivement au fond de son orbite ; chaque œil dardé lancerait son feu au creux de son double qui recule. Voilà notre curieux pris dans le champ magnétique du Désir ! Et surtout qu’il ne levât pas les yeux au plafond… Le rapprochement affaiblissant l’ardeur des uns et la crainte des autres…la platitude menaçait. Pour attiser encore l’érotisme du passage, l’enduit des murs se ferait sensible comme une peau, mat, lisse, moelleux, bourrelant la circonférence des cupules rétractées, tendu autour de celle des cabochons saillants. Il me fallait un modelage délicat de l’enduit autour des objets de métal poli pour qu’une peau douce qui appelle la caresse, une peau magnifiée par sa parure de bijoux se substitue au support maçonné.

Titre N° 2 de l’œuvre : « Impasse du désir »

L’EAU

Mon « aménagement artistique » se devait de prendre en compte la cour repavée qui fait suite au vestibule. En face exactement du vestibule, à l’autre extrémité de l’axe central de la cour, se tient la porte d’entrée du musée. Je déroulerais donc, sur la ligne droite qui relie le porche à la porte d’entrée du musée, un tapis invisible, suggéré par une ponctuation de cupules incisées délicatement au centre de certaines pierres. Ces cupules seraient de taille identique à celles qui se cachaient sur les parois du vestibule et rythmées par la même trame. Ces traces subtiles engageraient le visiteur à s’avancer vers le musée avant même qu’il ne les ait perçues. Par temps de pluie, l’eau ruissellerait sur la pente douce de la cour. Après l’averse, de l’eau resterait prisonnière dans les cupules sombres et le soleil réapparaissant, ces petites flaques rondes dessineraient un tapis précieux, brocardé de reflets brillants. Ce miroir aux alouettes durerait le temps que le soleil ait bu toute l’eau des petits abreuvoirs. On se prendrait alors sans doute à regretter la pluie miraculeuse et à se réjouir de la voir revenir.

Titre N°3 de l’œuvre : « Au plaisir ! »

LA FIN

Après bien des aventures, l’œuvre est enfin terminée. Je l’ai baptisée finalement « Pas-sage ». Ce qu’elle est dans tous les sens du terme. Le service des Musées de France du ministère de la culture et de la communication m’a fait l’honneur de la classer à son patrimoine artistique. Elle introduira désormais, par l’esprit libertin du siècle durant lequel fut bâti l’hôtel Dufraisse du Chey, chaque visiteur dans l’enceinte du musée. Elle le raccompagnera à sa sortie d’un dernier clin d’œil complice… Puissent aussi les très fidèles qui, chaque jour, passent le porche pour travailler au musée, y trouver toujours plaisir.

Hélène Mugot, 2001

¹ cf : « objet dard » est une œuvre de Marcel Duchamp