Description

Conception de la muséographie et maîtrise d’œuvre.

  Ce musée classé et contrôlé par la Direction des Musées de France est permanent.

 

INTRODUCTION

Le musée Colette : Un musée international

Colette est un écrivain français majeur d’un rayonnement international. Pour répondre dignement et dans le long terme à une œuvre de cette qualité, et parce qu’il est inimaginable pour elle de refaire un de ces musées où meurent les reliques, il convient d’inventer un musée exemplaire et de veiller à ce que ses ambitions et ses moyens répondent à une demande qui ne manquera pas de s’amplifier encore dans les années à venir, si l’on en juge par l’audience de portée internationale dont bénéficie dès à présent l’écrivain.

Le musée Colette : Un musée du terroir

La réussite d’un tel musée dont le caractère national semble aller de soi, viendra de ce qu’il est implanté dans un terroir directement à l’origine de l’écriture. Plus que pour tout autre écrivain, la langue de Colette est une distillation de sa Bourgogne natale, de ses paysages, de sa gastronomie… En parcourant le « chemin du retour »*, c’est la Puisaye qui sera lue comme du Colette.

Qu’importe alors que le château choisi pour devenir le Musée Colette n’ait pas été sa demeure ! Par la force des choses, on aura échappé à la tentation de réduire à l’anecdote une œuvre dont le particularisme paradoxalement intensifie l’universalité du message.

*(la naissance du jour)

Le musée Colette : Un vrai musée littéraire

Libre à nous alors d’inventer un premier musée littéraire !

On n’imagine pas pour un peintre de montrer autre chose que sa peinture…Dans le musée de Saint-Sauveur sera rendue au vif l’œuvre d’un écrivain.

Faire entendre le bruit des mots de Colette dans un parcours sonore qui restitue dans l’épaisseur la chronologie et le style de l’œuvre et qui conduise naturellement, en contrepoint, au silence de la lecture…

Le musée Colette : Un musée vivant

Pas de tombeau, pas de mausolée pour l’écrivain qui a travaillé par les mots à mieux goûter sa propre vie et à sauver le vivant de la mort, qui a si bien choisi et façonné ces mots qu’ils ont pris chair au plus vivant du vivant, inaltérablement… mais une demeure habitée par ses mots, vibrante de leur musique : la Maison de Colette !

Un espace où, dans une même oralité, se savourent mots et nourritures terrestres (salon de thé au rez-de-chaussée), où s’ajoutent à ces plaisirs de bouche et d’oreille les parfums et les couleurs du parc refleuri, les bouquets intérieurs et les correspondantes harmonies de la scénographie. Un musée pour les sens autant que pour l’esprit, qui rassasie l’être tout entier et condense en son sein le Vivant retrouvé d’une grande œuvre et celui intenable dont elle procède. Un musée vivant, c’est à dire aussi une structure souple, ouverte sur de possibles développements, qui puisse à la fois représenter un fond permanent mais accueillir aussi des manifestations temporaires (expositions thématiques, colloques…), où l’on vienne au cœur du paysage qui a porté les œuvres, prendre le temps de poursuivre une recherche, et pourquoi ne pas imaginer que cette œuvre généreuse ne suscite et n’accueille parfois d’autres œuvres qui se nourriraient d’elle et la prolongerait …

Le musée Colette : Un musée en forme d’œuvre d’art

L’œuvre, même la plus achevée, a besoin d’un « regard » pour la réanimer. Le musée implique ce « regard », mais implique surtout leur nombre. Ce qui se fait simplement pour la peinture devient problématique pour la littérature. Un texte s’appréhende solitairement dans la durée et pour cela il y a les livres. La « mise en musée » d’une œuvre littéraire si elle consacre l’œuvre et la propose au plus grand nombre, la fausse simultanément. Une médiation devient donc nécessaire.

Or comment ne pas altérer la perception différée d’une telle œuvre d’art, comment dans ce passage ne pas la scléroser, la pervertir et la dévitaliser, si ce n’est en faisant que cette traduction obligée en une forme mieux adaptée aux conditions du musée, ne soit elle-même une œuvre d’art, c’est-à-dire quelque chose d’immédiat où se condensent Sensible et Intelligible, Espace et Temps, une fidèle épiphanie dont la matière serait l’œuvre de Colette.

LE PROJET

Quelques points d’articulation

Privilégier l’œuvre de Colette, c’est-à-dire le texte, soit sous forme dite et entendue, soit sous sa forme écrite et lue.

Faire du musée la page où ce texte s’inscrit : montages sonores dans certains espaces, textes divers imprimés ou gravés tout au long du parcours des espaces. Recherche de leur insertion plastique, recherche de localisations variéeset inattendues qui éveilleront l’attention et la curiosité d’un public rendu actif comme dans un jeu de piste.

L’Ars Memoriae antique choisissait pour fixer un savoir, des « lieux » et des images inhabituelles, ainsi cette localisation surprenante des mots fera image et sans effort, au cours de la visite, enracinera un savoir sur Colette.

Choisir des interventions ou des dispositifs qui, par leurs propres qualités sensibles (sur le plan visuel, auditif, olfactif, tactile ou même gustatif) fonctionnent en équivalence et non en illustration anecdotique, de la sensibilité et du style propres à Colette.

C’est l’harmonisation plastique des matières, des couleurs et des rythmes, la qualité musicale du montage des textes, les exhalaisons des massifs et du parc ou la carte du salon de thé qui tenteront, en écho à la puissance des mots de Colette, de réincarner la sapidité d’un univers et ainsi d’adoucir le passage entre l’imaginaire et le réel, entre l’œuvre et son support.

Un musée c’est une collection. En contrepoint aux collections d’objets figurant dans la reconstitution de l’appartement du Palais Royal, exposer dans cette partie du musée la collection des « catégories » Colettiennes.

Collection des adresses de ses domiciles, de ses titres d’ouvrage des fleurs de son jardin imaginaire, des lieux de son enfance, de ses portraits et des images de sa vie, des noms de celles et de ceux qui lui ont été chers et qui ont accompagné son existence, des images et des noms de ses animaux familiers, de textes emblématiques etc…

Pas de systématisme dans le choix des moyens. Mêler les différents modes de représentation, chacun étant choisi pour ses qualités de « meilleur traducteur »…peinture murale, enluminures naïves, art conceptuel, photographie, film , vidéo, enregistrement sonore…

Pour être vivant, il faut respirer. Un musée structuré sur un rythme binaire, sur un équilibre dialectique, sur une complémentarité.

  • abstraction de l’écrit / image sensuelle de son inscription
  • dispositifs en intérieur / dispositifs en extérieur
  • château / jardin
  • culture / nature
  • espaces sonores / espaces silencieux
  • espaces d’imprégnation / espace de concentration
  • espace de la montée d’escalier : mur du haut = le temps qui passe, les yeux qui voient / palier du haut = l’espace qui perdure, ce que les yeux voient tryptique du hall d’entrée : « la Maison de Colette » = photos de la première et de la dernière maison de l’écrivain en vis-à-vis.
  • Médiums traditionnels / nouvelles technologies de l’image et du son

 

Descriptif des principaux dispositifs

Donnant sur la terrasse, au cœur du château, la billetterie marque l’entrée du Musée Colette. Dans cette demeure qui n’est ni celle où elle est née, ni celle où elle est morte, ni aucune autre, cette entrée avec ses quatre colonnes providentielles qui dessinent dans l’espace l’épure d’une maison, sera celle, virtuelle, qui les contient toutes : « la Maison de Colette ». Au plafond entre les 4 colonnes de bois un caisson lumineux, une trouée de ciel entre des branchages d’acacia. ainsi le toit de cette « maison » sera devenu le toit du monde, in ciel de lit pour une maison-radeau, toujours au beau fixe. Entre les 4 colonnes, au sol, gravés sur les pierres polies qui réfléchissent le ciel, sont gravées les adresses des multiples domiciles de Colette. Sur les 3 murs qui ceignent cet espace, un triptyque photographique : à gauche, la photo de la maison natale, à droite l’appartement du Palais-Royal et au centre un panneau central portant à ses extrémités les traces des 2 maisons, et au centre ce texte extrait de La naissance du jour : « est-ce ma dernière demeure, celle qui me verra fidèle, celle que je n’abandonnerai plus ? »
4 volées de marches du rez-de-chaussée au deuxième étage où s’achève le parcours muséographique. 50 contremarches lisibles dans la montée de l’escalier. Sur chacune en lettres d’or le titre d’une des 50 plus importantes œuvres de Colette. Sur la première en bas, « Claudine à l’école », sur la dernière « En pays connu ». Ainsi en même temps que l’on suivra l’itinéraire du musée, on parcourra la bibliographie de Colette, premier apprentissage qui mène logiquement à la bibliothèque où tous ses livres seront représentés. Sur le mur du premier palier, une photo des mains tavelées de Colette âgée en train de corriger un manuscrit à l’aide d’un de ses gros stylos. La photo est mise en abîme sur un agrandissement du manuscrit de Sido. Sur le mur au dessus du troisième palier, une grande projection : les yeux immenses de l’artiste-voyant(e) se métamorphosent lentement dans un fondu-enchaîné qui part du regard innocent de la petite fille pour arriver au regard ironique de la vieille dame après être passé par celui triste ou artificiellement provocateur de la jeune femme et par celui ferme de la femme mûre. Cet accouchement de l’être au fil du temps, visible dans ces yeux, est suivi d’une deuxième séquence exactement symétrique qui montre à travers la métamorphose inverse du regard, la lente reconquête du temps perdu, du paradis originel, cet étrange travail de l’œuvre qui consiste à remonter le courant et à sauver au fur et à mesure de la mort et de l’oubli, ce qui fut vivant pour enfanter dans l’éternité ce dont on procède. En face de ces regards, sur le quatrième palier, un cadre ancien, contenant un moniteur où défilent de lents plans fixes des paysages de forêts et d’ étangs sous toutes les saisons, les mêmes que ceux où gambadait la jeune Gabrielle. Au flux et reflux du temps exprimé par les regards répond une avancée continue dans l’espace, une permanence de la nature à peine ondulée par les saisons, les paysages d’aujourd’hui semblables à ceux d’hier et sans doute de demain.
On pourrait nommer cette grande salle : « la vie est un roman » en reprenant le titre d’un film d’Alain Resnais. En effet deux vies y sont racontées. D’abord en quelques 200 instantanés, des images , un peu, posées, de la vraie vie de Colette, depuis son enfance jusqu’à sa mort, couvrant totalement les 4 murs de l’espace…une immersion dans un temps monté en boucle, que l’on peut se donner l’illusion d’embrasser en tournant sur le velours du grand siège central en colimaçon… et dans ce carré magique glissant d’un mur à l’autre, une voix féminine raconte une autre vie réinventée à partir d’extraits de ses œuvres, mis bout à bout en pointillés et qui retracent l’enfance de Claudine, son mariage, sa retraite sentimentale, les errances de Renée, les chagrins de Mitsou, , les patiences de Fanny, les derniers amours de Léa jusqu’au point où Colette elle-même reprend la parole, sans substitut. « Ne me cherchez pas dans mes livres ! » a-t-elle dit souvent. Sur les cabochons gris en losanges qui ponctuent les grandes dalles de pierre de Bourgogne crème, la constellation des noms de celles et de ceux qui ont un temps partagé sa vie : parents, enfant, mari, amants, amants, amis et amies…à lire en tournant sur le grand colimaçon gris.
Fausse reconstitution de la chambre et du salon du Palais Royal avec mêlés aux vrais objets du mobilier, les objets manquants au décor, peints… et comme sur l’ estrade d’un théâtre, le lit-radeau sous le fanal bleu… et le fantôme de Colette surgissant de temps à autre de l’écran de télévision (dont elle fût une des premières adeptes).
Fin du parcours initiatique, cette bibliothèque un peu particulière, couronne le musée et ramène le visiteur au vrai lieu de l’écrivain : le livre. Après l’espace d’imprégnation du premier étage, un espace de repli et de concentration. Dans cette Bibliothèque exactement superposée et semblable à la grande salle de la biographie au premier, qui couvre elle-même l’espace du salon de thé, on s’adonnera, sublimé par l’écriture, au même plaisir de gourmandise. Au rez-de-chaussée, petits fours, bouchées apéritives, au deuxième étage, dégustation de morceaux choisis ! Une bibliothèque de 1500 faux livres s’ouvrant sur une page unique où l’on peut lire un court texte de Colette, choisi pour sa densité et la saveur de son style . 1500 fragments, 1500 éclats splendides recueillis dans la monade des œuvres complètes. Entrant dans cette salle où trône au centre une table et des sièges, on cueillera au hasard des alignements muets ce que des bras peuvent emporter de livres et on s’installera pour le festin… qui se prolongera jusqu’à satiété de chacun.
Une fois mis en appétit, comment résister à l’envie d’emporter avec soi des nourritures plus consistantes ? Un passage par la librairie pour entamer la lecture d’un livre entier de Colette , bien calé, l’hiver, dans un fauteuil du salon de thé en savourant un chocolat fumant ou l’été allongé à l’ombre accueillante d’un tilleul ou sur le moelleux de la prairie.
Cette partie extérieure de la Muséographie n’a jamais été réalisée.

Hélène Mugot – Octobre 1990

 lire le texte de Sylvie Liotier : Le musée Colette : une traduction « à livre ouvert »

 

 

Détails

Date: 1995

Technique: Textes,vidéos, photos, sons...

Lieu Exposition: Château de Saint-Sauveur-en-Puisaye.

Credits photographiques: Anne Schaefer, Christophe Boisvieux