À propos de « Noli me tangere »

Pour Hegel l’excellence de la vue, par rapport au toucher, reposait sur le fait qu’elle laissait son objet intact, au plein sens du terme. Hélène Mugot aborde le rapport entre visibilité et tactilité dans Noli me tangere (1989), la projection lumineuse le long d’un mur de ses dix empreintes digitales (le titre, “Ne me touche pas”, se réfère, bien sûr, aux paroles du Christ ressuscité dans son corps de gloire).

La pièce s’inspire d’une réflexion sur le statut ambigu du doigt dans l’histoire de la peinture : on parle certes de la “touche” ou du “doigté” du peintre, mais le doigt – le plus souvent remplacé par le pinceau ou autre prothèse –

a traditionnellement été l’ennemi de la peinture qui se voulait pure visibilité dont toute trace de facture se voit abolie.

Noli me tangere est une sorte d’autoportrait digital de l’artiste portant la trace de la lumière au bout de ses doigts. C’est en même temps une tentative de faire un portrait tangible du spectre lumineux. La forme concentrique de chaque empreinte apparaît comme la matérialisation de la section des ondes de lumière – ce qui est souligné par la composition de la pièce : les empreintes aux deux bords de la rangée sont rouges (de basse fréquence), tandis que celles du milieu sont progressivement plus violettes.

Si les empreintes digitales servent en général à établir l’identité, parfois à résoudre des énigmes judiciaires, elles conservent dans cette pièce – exquisément insaisissable – tout leur mystère.

L’immatérialité de ces portraits, incorporels bien qu’ils s’originent dans la trace du corps, se trouve soulignée par un effet dû aux lanternes chinoises utilisées pour projeter la gerbe lumineuse, et le spectateur a la sensation de voir trembloter les images.

Stephen Wright