Venir au « bout du monde » et déployer le souffle de l’univers

Depuis longtemps déjà, Hélène Mugot pourchasse, capture la lumière sous toutes ses formes. Elle en recueille les miettes, vous savez, celles qui, selon la légende, ont jailli des récipients ne pouvant plus contenir la lumière originelle trop éclatante. Contente de ce grand éclat en chute, Hélène Mugot se réjouit de cette dispersion. Et cette dispersion nous ravit, car elle est source d’un merveilleux à portée de main.

L’artiste questionne les grands archétypes de la nature et de l’humanité à l’aide d’une curiosité technologique sans cesse renouvelée : photographie numérique, objets et volumes, gouttes de cristal, dessin, bougies en installation, mais aussi vidéo, feuilles d’or et graphite, lumière électrique. Aucun moyen n’est à priori écarté. Ce qui lui permet d’enjamber lestement les distances, de la tradition au futur présent, de la sensibilité au proche jusqu’aux lointains infinis. Tout cela donne à son œuvre une envergure peu commune, une proximité empreinte de cosmos. Un sublime d’intimité.ardre 7L’exposition à l’Ecole d’art du Havre est d’une tonalité plutôt tragique. Hélène Mugot se propose de prendre le pouls du monde, cette danse à deux temps qui anime les éléments naturels, du soleil en passant par la mer, jusqu’à l’arbre qui, comme le savent les scientifiques, voit, lui aussi, sa grosseur varier au gré de la lune et des marées. Pulsation qui est également respiration lumineuse, notamment dans la série des douze photographies d’oliviers, Ardre, qu’un mouvement alternatif de positif-négatif photographique électrise étrangement. Quant à l’image agrandie d’écume, Okéanos, et mise au carreau sur la verrière-paravent, elle envahit l’espace d’exposition : cinéma marin d’une lenteur menaçante dont on espère le reflux. Elle est une proposition in-situ d’un projet plus vaste de « dessin animé » dont les éléments sont ici présents. Le fleuve qui, dans la mythologie grecque, entourait la Terre à sa création, devient calligraphie de l’écume perpétuelle, mais plus encore, image des bouillonnements premiers. Galaxies ? Nuages ? Marées ?

 

D’autres pièces sont plus poignantes. Ainsi les photographies d’oliviers millénaires aux branches tronquées, dont les troncs massifs ou éventrés, ont une tournure michelangelesque (Forteresses).

char du soleil 1Dans le cabinet obscur, deux œuvres d’apparence très différentes évoquent la fastidieuse ascension du soleil. Les roues du char d’Apollon diffractent la lumière solaire et demeurent, avec leur pesanteur d’haltères, définitivement rivées au sol : Age de fer, années de plomb (Char du Soleil). Tout comme dans l’atmosphère de chromo vidéographique de Méduse, on assiste en accéléré, à l’agonie de l’astre. Propulsé à sept reprises vers le ciel sur un son de respiration, le soleil rougit et coule dans la mer. Un pathétique braiement d’âne couronne cette mise à mort. Le cri de l’animal sacrificiel d’Apollon, qui est symbole de luxure, mais aussi comble de l’innocence, va chercher en nous ce qu’il y a de plus archaïque, provoque un effroi sacré. Fin de la corrida. Défaite de la splendeur antique.

Si le mouvement binaire traverse cette manifestation, c’est pour dire le sac et le ressac, l’inspir et l’expir, le haut et le bas, le positif et le négatif, la couleur mais aussi le noir et blanc. Soit fromage ET dessert. Ainsi, il y eut des soirs, il y eut des matins… Tant de jours !

Danièle Gutmann, Avril 2002