Icare éclipse les nymphes.

L’une, de sang et de larmes

Livre au chant des sirènes

Sa litanie.

L’échelle est double

Et le monde, monde.

La rosée sur les ardres

Arrose le Pas-sage

Pour la gloire !

MORCEAUX CHOISIS

Morceaux choisis pour présenter une œuvre polymorphe ; celle d’Hélène Mugot, artiste de la lumière, qu’elle questionne dans tous ses sens : physique, scientifique, symbolique et mythique.

Et c’ est pour mieux la révéler qu’elle s’empare de techniques aussi diverses que la photographie, l’holographie, la vidéo et de matériaux tels que le verre, le cristal, les prismes optiques ou encore l’or, le bronze, l’inox …

L’exposition du musée Mandet, « Icare encore », met l’accent sur un ensemble de pièces réalisées entre 1986 « Icare » et 2006 « Mundus, mundus est », qui entrent en résonnance avec ses collections, notamment celles, précieuses, consacrées aux arts décoratifs anciens et contemporains.

Y sont associées des œuvres récentes : « Pour la gloire… », grande couronne de ceps de vigne de 2011 et « Pas-Sage », installation pérenne réalisée en 2011 pour le musée, à l’occasion de l’ouverture de son nouveau département Design et arts décoratifs contemporains et inspirée de ses collections d’orfèvrerie. Ces sauts temporels rendent ainsi visible la continuité du travail d’Hélène Mugot que l’on doit traverser pour en goûter la poésie et la subtilité.

Pour ce faire, il faut commencer par franchir le Pas-sage, dans le porche d’entrée du musée, s’engager dans la cour aux pavés discrètement ciselés, emprunter l’escalier d’honneur du bâtiment XVIIIè siècle pour découvrir, serpentant parmi les collections de peinture qu’il éclabousse de sa lumière, « Mundus, mundus est », gigantesque collier de perles aux boules à facettes miroitantes. Puis, passé le salon d’honneur, et dans un espace unique, s’adonner au jeu de l’exploration, pour relier entre elles des œuvres qui escamotent la chronologie au profit de la correspondance et de la complémentarité.

Si la lumière est le fil conducteur de l’oeuvre d’Hélène Mugot, la majeure partie de ses pièces se rassemblent autour d’un motif géométrique élémentaire : le cercle, et ses dérivés : sphère, demi-sphère, disque dont elle utilise avec brio les mécanismes de la perception.

Ainsi et sur toute la hauteur des murs et du plafond de « Pas-sage », un enduit dont la couleur se fond à celle , grise, de la pierre volcanique du bâtiment, reçoit des cabochons hémisphériques en inox, disposés de façon géométrique , soit sur leur face convexe, soit sur leur face concave.

Discrets, ces cabochons ne passent cependant pas inaperçus. Concaves, ils aspirent et jouent sur l’apparition et la disparition de l’image du regardeur réduit à chercher son reflet rebondissant sur les cupules convexes. L’œil perd tout ancrage pour naviguer dans un abime d’ambigüité, perception qui se poursuit avec les discrètes cupules taillées dans certaines pierres de la cour et disposées comme le décor d’un immense tapis, menant à la porte d’entrée du musée. Après la pluie, la lumière fait miroiter l’eau recueillie dans les cavités. Images qui évoquent aussi l’invisible et l’immensité du cosmos. Car ce n’est pas la première fois que l’artiste s’intéresse au ciel. Avec « Mundus mundus est », créé pour la chapelle baroque de la Trinité à Lyon en 2006, elle avait déjà souhaité rendre perceptible et mémorable la beauté de l’univers, en libérant un cosmos d’étoiles figurées par 50 boules à facettes. Présentées comme les perles d’un grand collier brisé, les boules étaient éclairées par des projecteurs directionnels réfléchissant la lumière dans tout l’espace en une pluie d’étoiles. Ainsi, par le prisme du volume parfait, l’espace diffracté parvenait à démanteler le réel, suggérant un univers instable dont le désordre est aussi perturbateur que libérateur.

C’est à ce voyage hors du temps et de l’espace que sont à nouveau conviés les visiteurs du musée Mandet, impliqués physiquement dans l’œuvre qu’ils traversent et qui les mène inévitablement de la perception à l’introspection car celui qui se voit ainsi disparaitre ne peut que songer à sa place dans le monde. Cette installation magistrale est une tentative de retrouver le lien originel et l’on peut imaginer que l’œuvre elle-même est une métaphore de l’art qui consiste à montrer l’invisible.

Le motif du cercle se retrouve dans « Icare » (1986), « L’Une » (1991), les « Petites nymphes » (1994) et « Rosée » (1995). La première est un quadriptique composé de cibachromes circulaires encadrés de laiton doré. Avec la série des Extases, c’est l’une des rares œuvres présentées dans l’exposition où l’artiste a exploré les relations entre la couleur et la lumière par le biais de la photographie. Cette pièce arpente les modes de création d’une image, la manière dont les couleurs imprègnent notre rétine, avec des photographies qui représentent un halo coloré dont la source lumineuse centrale envahit progressivement les quatre images. L’Une et ses 12 troncs de sphère concaves et convexes en laiton repoussé, brouille le regard mais son alignement horizontal parfait témoigne de l’attention rigoureuse d’Hélène Mugot, soucieuse d’une grande exigence conceptuelle comme d’une accessibilité sensible très directe.

Cette volonté apparait dans l’ensemble de son œuvre. En témoigne l’étonnante « Rosée », constituée d’une centaine de boules de cristal à la base dorée à la feuille d’or, répartie à même le sol et d’une manière aléatoire pour ressembler aux gouttes d’eau du petit matin. Cette pièce est à rapprocher de « La grande marée », œuvre éphémère constituée de 2000 bocaux en verre remplis d’eau et éclairés par une mèche enflammée, posée en flux ondulatoires sur le sol de pierre de la chapelle de la Trinité de Lyon, en 2003.

S’y révèle l’inclination de l’artiste pour les surfaces envahies, gagnées par le multiple, comme « Du sang et des larmes » de 2004. Cette œuvre, à l’accrochage en touches subtiles composée de plusieurs centaines de gouttelettes de cristal clair et de verre rouge joue avec le regard et l’esprit à la faveur d’allusions discrètes qui renvoient à Marie-Madeleine et au sang du Christ (exposition « Marie Madeleine contemporaine » au musée d’art de Toulon en 2004). Mise en scène qui procède d’une composition picturale à la manière des grands tableaux baroques du XVIIè siècle. Ce rapport à la peinture devient explicite avec « Pour la gloire… », couronne d’épines de 2m50 de diamètre formée de ceps de vigne entremêlés, dont les bouts des branches sont ponctués de cire rouge, frappante allégorie de la Passion du Christ et du mystère de l’Eucharistie.

L’artiste se risque même à la figuration avec la version photographique de l’installation « Ardre » qui fut créée au Kunstverein de Heidelberg en 1997 puis présentée à la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon et à l’abbaye romane du Ronceray à Angers, sous la forme d’une série de projections monumentales en fondu-enchainé. Ici, 6 couples de photographies montrent des oliviers millénaires, provenant de l’île de Zakinthos en Grèce, dont l’histoire locale dit qu’ils produisent toujours des olives dont l’huile est destinée au Saint-Chrême. A partir d’images sèches, brutales, en noir et blanc, H. Mugot crée l’illusion de l’arbre embrasé, mort puis renaissant de ses cendres, vision qui invite à une méditation sur l’Origine et sur le temps. « Echelle double » illustre également cette dimension. Eclairée et posée contre un mur blanc, cette simple échelle de verre qui disparait au profit de l’ombre qu’elle projette en lignes verticales et horizontales interroge sur la dualité platonicienne de l’ombre et de la lumière, du bien et du mal. Impossible à emprunter, elle renvoie à la condition fragile de l’existence et flirte avec l’éphémère.

A la fascination de la lumière, à l’attirance pour les surfaces et leurs potentiels visuels, se rajoute le goût d’Hélène Mugot pour les matériaux nobles et précieux. L’or, celui qui discrètement apporte le relief, confère à ses pièces une dimension liturgique. Ainsi, dans « Eclipse », les empreintes digitales d’or et de plomb de ses deux mains s’entrelaçant sur des plaques de verre, évoquent le vitrail des églises, tandis que « Le chant des sirènes », qui reprend en un rythme nerveux les 8 vers du texte de l’Odyssée d’Homère, traduit tout autant, par ses fusains sculptés recouverts d’or, le scintillement du soleil sur la mer, que le décor des autels baroques. On le voit, l’œuvre d’Hélène Mugot est nourrie d’alluvions multiples, de la mythologie à l’Histoire de l’Art, en passant par la technologie, la métaphysique ou la théologie. Cependant ces références, où les pistes se croisent, tiennent plus de l’évocation que de l’expression directe. Ainsi en va-t-il du monde d’une artiste qui ne se laisse pas enfermer dans une catégorie et pour qui l’élaboration et la perception de l’œuvre sont indissociables d’une réflexion sur le temps et l’espace et plus encore sur les moyens de s’en saisir.

Marie-Josée Linou, Conservateur en chef des musées de Riom communauté, 2011