Hélène Mugot – Itinéraires de la création

 

Texte publié sur le site Narthex à cette adresse.
 

La première rencontre des Itinéraires de la création est déjà atypique puisque ce n’est pas l’artiste qui reçoit dans son atelier, mais l’artiste qui est reçue dans les locaux de la Conférence des Evêques de France ; en effet, Hélène Mugot réalise surtout des œuvres et des installations in situ, qui rendent obsolète l’image que l’on peut se faire d’un atelier stricto sensu.

Hélène Mugot est une artiste de la Lumière, cet élément si familier et pourtant si mystérieux, que nous côtoyons à chaque instant de notre vie. Elle raconte comment elle s’est soudainement détachée de la peinture comme elle l’avait apprise à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Paris, après son séjour de pensionnaire à la Villa Médicis à Rome. Pour parler de ses sources d’inspiration, Hélène évoque la découverte des icônes sur fond d’or du trecento italien, mais aussi de Paul Klee, grand artiste aux multiples facettes, à la fois peintre, musicien, poète et théoricien. Une autre rencontre est décisive pour l’artiste : invitée par Michel Cassé à l’institut d’astrophysique, elle échange durant près de deux avec des scientifiques sur tous les domaines, toutes les connaissances et intuitions de la lumière.

CHAMBRES-NOIRES © LAURENT BIANCHANI 1979

 

« Les Chambres noires » fut la première grande œuvre d’Hélène Mugot. C’est un polyptyque étrange qu’elle dit « n’avoir compris que plus tard, dont l’achèvement épuisant fût comme une muraille obstinément grignotée qui se troua tout d’un coup. Cette immobilité de 9 mois dans le noir (le temps de leur élaboration) fit éclater par asphyxie en quelque sorte, l’inspiration de la Lumière. »

Pendant l’élaboration de cette « Œuvre au Noir », elle fait un rêve dans lequel elle se trouve sur une grande place ceinte de portiques et baignée de soleil à la manière d’une peinture de Chirico. Sur chaque côté de la place se présentent trois portes, et l’artiste en franchit une au hasard, avant de se retrouver dans une succession de couloirs sombres assortis de nombreuses portes, qu’elle pénètre à chaque fois sans choisir. Elle progresse ainsi dans l’obscurité, quand soudain une porte s’ouvre et c’est l’éblouissement : c’est ainsi qu’elle finit alors par revenir sur la place baignée de lumière : « Je me souviens du sentiment de satisfaction profonde que j’éprouvais, lié à la certitude d’avoir tout parcouru et je me dis : maintenant, je peux mourir ». H.M.
 

EPIPHANIE © ISABELLE CHANEL 1982

 
Quelques années plus tard avec «Epiphanie », la lumière explose, diffractée dans toutes les couleurs du spectre visible. Pour y parvenir, et sans le savoir, chaque élément de cette installation de 55 m² appelle le suivant. D’abord est créée la peinture du grand pyramidion noirci par les milliers d’empreintes digitales de l’artiste (comme en cherchant l’issue à l’aveuglette) et ceinturé sur chacune de ses sept marches, d’une des couleurs du Livre des morts égyptien.

EPIPHANIE © ISABELLE CHANEL 1982

 
Cette première pièce noire en deux dimensions appela son envers : une pyramide tridimensionnelle violemment multicolore, fluorescente : le volcan dont la brûlure appela à son tour la glace d’un champ de prismes optiques crachés entre les deux…  Illuminant l’œuvre, une nuée d’arcs-en-ciel s’envole dans l’espace. La lumière s’arrache à la matière, comme si l’artiste l’avait métaphoriquement ressuscitée. Ne restait alors aux spectateurs en déambulant autour de l’œuvre qu’à allumer les feux multicolores cachés dans les bris de verre.

DU SANG ET DES LARMES © JEAN-PIERRE GOBILLOT
DU SANG ET DES LARMES © H MUGOT 2004

 

« Celui qui pleure dans la nuit, les étoiles et les astres pleurent avec lui ».  (Talmud

C’est ainsi qu’Elisabeth Blanchard introduit cette autre œuvre d’Hélène Mugot « du sang et des larmes »créée pour l’exposition « Marie Madeleine contemporaine » au musée des Beaux-Arts de Toulon. Au centre de ce ruissellement de lumière, le sang du Christ est comme embrassé par les larmes de Madeleine. On devine une croix, presque subliminale, dans l’ordonnance des gouttes rouges contenues entre les deux rideaux de larmes de cristal clair. La lumière, selon une loi optique, s’y condense, transformant chaque goutte en une petite flamme d’autant plus brillante que règne l’ombre dans l’espace d’exposition. A cet instant, nous vient le regret de ne pouvoir observer cette œuvre de visu, dans le musée du Hiéron à Paray-le-Monial, qui l’a acquise il y a deux ans.

LA GRANDE MAREE © CH. GANET 2003

 

A l’occasion de la Fête des Lumières – un événement tout désigné pour Hélène Mugot – l’artiste va avoir la possibilité à deux reprises de présenter une installation aux dimensions monumentales. L’impressionnante nef baroque de la chapelle de la Trinité à Lyon accueille ses œuvres en 2003 et 2006. D’abord « la Grande Marée » : deux mille bocaux se répandent en vagues successives sur les 30 m de long du sol de la nef. Dans chaque récipient rempli d’eau et d’huile flotte à la surface une mèche enflammée. Un quatuor de vestales vêtues de noir allume lentement ce grand fleuve puis l’éteint au son de joyeux madrigaux suivi par les « Leçons des ténèbres » de F. Couperin. Entre ces deux extrêmes, un grand dessin fait de flammes lévite silencieusement au-dessus du sol.

 

MUNDUS MUNDUS EST ©  VÉRONIQUE GIRAUDIER 2006

 
Ce n’est plus seulement à faire chanter la lumière qu’Hélène Mugot va s’employer dans la deuxième installation, c’est à la faire danser. Voici au même endroit, emplissant tout l’espace cette fois « Mundus mundus est ». Mundus en latin, Kosmos en grec, c’est l’univers ordonné mais c’est aussi la parure qui s’exhibent dans le grand collier de boules à facettes et dans les millions d’éclats lumineux projetés sur les voûtes et sur le sol de la chapelle. Les cinq perles centrales de ce collier géant de 40 m de long, libérées dans sa chute sont mues, chacune, par un performeur tout de noir vêtu caché dans son ombre. C’est l’Harmonie des sphères qui emporte dans sa chorégraphie les très nombreux spectateurs qui se pressaient par centaines aux portes de la Chapelle, au plus noir de ces quelques nuits d’hiver.

TOUR EUCHARISTIQUE © G. MUGOT-BOISSONNET, 2007

 
Hélène Mugot se donne également corps et âme dans la création d’œuvres pérennes, dans le cadre de la commande publique, à l’instar du lycée Xavier Bichat à Nantua avec « Les eaux d’en haut », ou dans celle du domaine privé, parfois même religieux, avec la Tour eucharistique de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes. Ces nombreuses créations font la joie de l’artiste ; elles se font l’écho aussi, d’une certaine souffrance, quand les commandes n’aboutissent pas. Mais dans chacune des œuvres, qu’elles aient pu s’incarner ou non, chacun peut ressentir le souffle toujours inspiré de l’artiste.

Dans « Le ciel et le miel », encore un exemple d’œuvre performative, parfumée cette fois, 144 cierges de cire vierge sont disposés aux emplacements des étoiles de la constellation de la Vierge sur une carte de verre. Elles sont allumées le 15 août 2001 dans la petite église Santa Maria Assunta de Canari en Haute-Corse. Quelques jours plus tard, devant la photographie du ciel effondré de toutes ces étoiles mortes, le poète Henry Bauchau y voit comme une prophétie des attentats du 11 septembre ; il en naîtra un poème…

LE CIEL ET LE MIEL © M. LE GALL 2001

LE CIEL ET LE MIEL © M. LE GALL 2001

 
… et Hélène Mugot de conclure cette rencontre fascinante par cette phrase que chacun est invité à méditer :

« Les artistes lustrent le monde pour qu’il brille et qu’il se voie ».
 

Publié sur Narthex, le 26 Novembre 2015.